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Comment communique Pauline Marois ?

Le lendemain du premier des débats des chefs, au Québec, j'ai dit dans plusieurs médias que Pauline Marois était restée sereine durant tout le débat et plusieurs fois la même question m'a été adressée : "Ne serait-ce pas là un effet des interventions esthétiques (botox, infiltrations ou autres) qui ont tendance à gommer les dissymétries faciales et créer une expression de calme sur le visage?" Non.

Cette photographie de Pauline Marois est tirée du débat des chefs. Ce visage est ridé. C'est celui d'une femme de 64 ans. Des sillons sont visibles sur tout le visage, et la peau tombe sur le coin de ses paupières. Il est possible que la première ministre du Québec ait subi des traitements relevant de la chirurgie esthétique, mais il ne serait pas honnête de mettre la sérénité de la cheffe du parti québécois sur le compte d'autre chose que de la qualité de sa communication. D'ailleurs l'effet direct de la chirurgie esthétique est mesurable. C'est un effet de rigidité, pas de sérénité.


Qu'est-ce qui permet de dire que Pauline Marois avait l'air sereine ?
 
Entendons-nous bien, nous ne parlons pas ici de rhétorique politique, ce n'est pas l'enjeu. Nous parlons ici de la stricte communication de Pauline Marois.
Dès le démarrage du débat , Pauline Marois a dit "bonsoir" aux animatrices et sa bouche est restée entrouverte ensuite, signifiant sa détente intérieure. Elle est la seule des quatre chefs a avoir agi ainsi. Dans le même mouvement, elle cligna des paupières pour saluer les animatrices. La personne qui cligne des paupières fait entrer des images de l'autre dans son cerveau, traduisant très inconsciemment l'ouverture.  Là encore, elle est la seule, avec Jean Charest, à avoir réagi ainsi. Dans le premier segment, celui de la première prise de parole d'un temps identique pour tous les candidats, elle cligna 39 fois des paupières, comme Jean Charest, contre 9 fois chez François Legault. Elle était sereine, confiante. Les items corporels le traduisent hors de tout doute raisonnable. 
 
Elle ponctua son discours de gestes et tous ses gestes, en début de débat, ont été faits de la main gauche, alors qu'elle est droitière. La main gauche est connectée aux aires cérébrales du lien (1). On n'apprend pas à parler en utilisant la main gauche, cela se produit ou non selon les états émotionnels ressentis au moment du geste (2). Si ces mouvements  pouvaient s'apprendre, tous les leaders parleraient avec la main gauche. Il a fallu en réalité attendre 9,25 minutes pour que la main droite de Marois apparaisse.
Des quatre leaders, lorsqu'on les évalue, c'est elle qui a communiqué avec les gestes les plus hauts. Cette manière de faire est conforme aux observations montrant qu'en situation de dialogue, les leaders font toujours des gestes plus hauts que leurs collaborateurs. Ces études n'étant d'ailleurs pas contredites.
Si l'on considère l'espace occupé, c'est également elle qui s'est le plus déplacée, se tournant largement à droite et à gauche pour répondre à ses interlocuteurs. 
 
Et les deux autres débats
Dans les deux autres débats, certains commentateurs, sans nier le fait qu'elle ait pu être sereine, ont trouvé à certains moments Pauline Marois plus molle. Le rappel de certains  stéréotypes culturels est à ce égard on ne peut plus éclairant. 
Face à deux hommes à la voix forte et affirmée, il y a un moment ou une femme ne peut plus continuer à rivaliser dans les tons graves, sans risquer de voir son comportement qualifié d'hystérique (3). Pauline Marois se trouvait là face à un problème à solutio unique. Elle n'avait pas d'autre choix que de laisser finir celui qui coupait la parole, pour redémarrer ensuite sur un autre ton. Et ce, dans les deux débats avec Jean Charest et François Legault

 
Dans ces circonstances, la principale tâche d'un animateur digne de ce nom, ici Pierre Bruneau  de faire respecter le dialogue, c'est même la base de son métier. Ici sa fonction exigeait qu'il arrête les leaders trop impétueux. N'oublions pas que couper la parole est une technique de communication vieille comme la communication elle-même, et qu'elle est une technique efficace car celui qui parle le plus fort ou celui qui est le dernier à parler, est souvent perçu comme celui qui a raison, celui dont la parole est légitime. Or, ici l'animateur n'est jamais intervenu. 
Dans l'histoire des débats, aussi bien aux États-Unis qu'en France, jamais un animateur n'est si peu intervenu pour faire respecter le droit de parole.
 

Lorsque nous nous attardons aux indicateurs corporels et que nous établissons ainsi des comparaisons entre Pauline Marois et les autres chefs (ampleur de la gestuelle, hauteur des gestes, utilisation inconsciente de la main gauche ou de la main droite, forme du geste, déplacements faciaux, clignements de paupières, ouverture et mouvements de bouche, rotation de la tête, congruence mots-corps ), la communication de Pauline Marois a été de très haute tenue. Il faut passer, dépasser les enjeux idéologiques pour le dire ou le reconnaitre.

 

 

(1) Iaccino (1993) Left brain, right brain, différences inquiries, évidence and new aproaches, Hillsdale (N.J) . Lawrence Ernbaum, Associates 
(2) Feyereisen. P (1994): Le cerveau et la communication , Coll “ Psychologie d’aujourd’hui ”, P.U.F,  213 pages.
(3) Le ton, le timbre et l'intonation de la voix sont des composantes du langage non verbal. Seuls les mots sont ce qu'il est convenu d'appeler le verbal. Mehrabian A. (1972)  Nonverbal communication, Chicago, Aldine-Atherton , 1972.