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Décoder des émotions, oui mais après…

 

Le public, de manière générale, pense que le langage corporel c'est le langage des émotions. Or ce n'est pas tout à fait ça et c'est beaucoup plus riche que ça.

Schema_synergologique

Apprendre à identifier des émotions sur le visage c'est le travail d'une journée pour un bon observateur à qui on a montré ce qu'il fallait regarder, et en l'espace d'une vingtaine d'heures de travail, celui qui le désire peut très bien apprendre à reconnaitre et étiqueter des déplacements de muscles.
Mais appréhender le langage corporel, ça commence juste après, ça commence lorsqu'on se dit : " Certes, j'ai bien vu une émotion mais à quoi l’attribuer ?" Ou encore au moment ou l'on se pose cette question :  " Mes interlocuteurs  ont l'air trés concentrés, mais je ne repère pas d'émotion particulière, pourquoi ?"
La personne qui compte bien mettre à profit les connaissances acquises par l'apprentissage des déplacements faciaux procède toujours de la même manière. Elle écoute ce que son interlocuteur est en train de dire, regarde son visage et se demande s'il y a adéquation entre ce qu'il dit et ce que montre son visage. Elle évalue la congruence entre le discours et les états émotionnels. Or, il y a huit causes bien identifiées, pas moins,  pour qu'il n'y ait pas de rapport entre l'émotion observée et ce que la personne est en train de dire, alors même qu'elle est parfaitement sincère, parfaitement authentique, et qu'elle dit parfaitement la vérité.

Prenons quelques exemples pour comprendre pourquoi l'observation d'une émotion est souvent trompeuse et pourquoi elle doit être encadrée par un questionnement sur le langage corporel prenant en compte de nombreux autres aspects.

Quelques exemples :

Il est tout à fait possible d’être dans deux états contradictoires, tout en étant authentique dans ces deux états. C'est ce qui se passe, si un évènement vous a rendu triste, au moment où vous croisez quelqu’un que vous êtes heureux de rencontrer. Montrez-vous un visage triste ou heureux ? En fait, vous montrez un visage sur lequel les déplacements faciaux ont emprunté aux deux réalités. Les muscles lisses actifs dans votre tristesse durable, mettent 40 à 400 fois plus de temps à se détendre que les muscles striés, pendant que de leur côté les hormones actives dans les situations de tension sont encore présentes et ne se dissipent pas dans le cerveau, comme par enchantement. Le temps du changement de métabolisme, des signes de joie et de tristesse sont lisibles ensemble puis en alternance, avant qu'un état prenne vraiment le pas sur l'autre..

Si vous communiquez face au soleil, votre visage sera marqué, tendu alors même que vous pouvez être de très bonne humeur et vous conserverez cette expression de tension faciale, de longues minutes après avoir quitté le soleil…

Il est également possible en interaction que votre esprit soit accaparé par d'autres pensées que les propos échangés. C'est même plus fréquent qu'on ne le pense. L'émotion traduite par votre visage peut être générée par des pensées n'ayant rien à voir avec l'interaction dans laquelle vous êtes placé/e. C'est le phénomène à l’œuvre chaque fois que vous êtes préoccupé/e. Votre interlocuteur muni de son petit lexique facial émotionnel risque de se dire, mais que lui ai-je donc fait pour que cette personne soit si fermée, lorsque c'est le cas ? Or ce qu'il ne sait pas c'est qu'il n'y est pour rien, qu'elle n'a rien à voir dans l'ordre de vos préoccupations.

La personne qui a peur de ne pas être crue, parce qu’elle lit de l'incrédulité sur le visage de l’autre, risque de traduire une émotion qui ne correspond pas à ce qu'elle dit. Celle qui pense qu'elle se sera pas crue, indépendamment même du ressenti de son interlocuteur montre elle aussi des émotions qui ne correspondent pas à ce qu'elle est en train de dire.

La personne qui reste digne pour ne pas s’écrouler sourit très souvent, et son sourire a toutes les caractéristiques d'un sourire authentique. Regardez les perdants des jeux télévisés, ils quittent l'auditoire en se retirant avec de grands sourires. Ces sourires se plaquent malgré eux sur leur visage et n'ont rien à voir avec un sourire jaune, comme il existerait un rire jaune. Ces sourires sont leur manière de "partir en beauté", pour laisser un bon souvenir. Ces sourires observés sont authentiques. Ces personnes là ne sont pas vraiment heureuses. Mais vous vous y tromperez si vous regardez la télévision sans le son.

Ainsi des lectures émotionnelles basiques pourraient nous faire douter des émotions qui sont pourtant véhiculées de façon authentique.

Décrypter le langage corporel :

Toutes ces remarques sont nées de repérages vidéos. Elles ont été capturées au fil du temps de manière écologique. Il ne s'agit pas de tenter de les reproduire pour montrer qu'elles sont "scientifiques". Les captures filmées sont des preuves en soi de phénomènes à l'oeuvre. Le véritable enjeu est ailleurs. C'est d'abord et avant tout de parvenir en interaction à échanger des informations, fluides avec une personne, dont la qualité de présence est déterminée par la qualité d'interaction.

Dans ce contexte, décoder le langage corporel nécessite la mise en place de processus obligeant à prendre en compte plusieurs constructions mentales simultanément, mais également et surtout, de ne jamais négliger la qualité de la relation, pour que l'information non verbale ne soit pas polluée par diverses projections.
Les qualités principales demandées à un spécialiste du décodage corporel, ne sont curieusement pas des qualités d'observation. L'observation relève de la technique. Repérer des traits qui bougent, ne demande pas de qualité particulière, et s'acquiert par automatismes successifs, nécessires mais pas suffisants. Non, les qualités du spécialiste du décodage corporel sont des qualités d'attention et de respect.

Le langage corporel n'est pas un simple langage co-verbal. Notre corps n'arrive pas neutre et lisse dans l'interaction. Il a aussi une vie indépendante de celle des mots prononcés. Nous continuons de penser et d'être lorsque nous ne parlons pas. Il nous arrive même d'être en interaction à un endroit et préoccupés par ce qui se passe à un autre endroit. C'est pourquoi la lecture des émotions (cette personne est-elle sincère en ce moment ?), si intéressante soit-elle, n'est jamais qu'un moment très circonscrit de la réflexion, à côté duquel la qualité de la relation (Sommes-nous dans un rapport authentique ?) mais également le rôle de la cognition (Mon interlocuteur est-il bien présent en ce moment ?), sont des questions préalables à poser, beaucoup plus importantes encore.

Si la solidité heuristique de ce triptyque (émotion-relation-cognition), tombait, toute l'approche synergologique n'aurait plus aucun sens. Mais c'est ce qui en fait aujourd'hui, la fécondité.

 

(*) Ce schéma est appelé Schéma intégrateur  en synergologie.

 

Les vraies angoisses n’empêchent pas les vrais sourires

Le langage corporel possède des spécificités. La plus mystérieuse d'entre elles, veut que la perception scientifique du non verbal contredise souvent les lois de la perception courante. Ou pour le dire autrement, que les certitudes du commun des mortels ne correspondent pas toujours aux données des chercheurs. Ce phénomène est observable concrêtement dans une manifestation non verbale, aussi courante que le sourire.

armstrong_1Dans ce domaine une idée semble bien implantée dans les esprits :  "Un sourire authentique est un sourire de bien-être, les autres sourires sont de faux sourires"  Et il en restera des traces sur le visage. Or il s'avére que cette idée n'est pas une idée juste.

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DSK : que révèle son non verbal ?

Dominique Strauss Kahn s'est expliqué dimanche soir en entrevue sur TF1 à propos de ce que le monde des médias appelle désormais  "l'affaire de la chambre 2806" du Sofitel où il aurait agressé sexuellement une femme de chambre à New York. Agression pas agression ? Doit-on le croire, pas le croire ? Lui accorder du crédit, aucun crédit ?

 
Son intervention au journal de TF1 face à la journaliste Claire Chazal  était sans aucun doute murement réfléchie, les propos bien ciselés, les formules choisies. Mais nous attendions-nous vraiment à autre chose ?
 
Essayons par contre de comprendre ce que le corps de Dominique Strauss Kahn,  au delà des circonvolutions verbales avait, lui, le besoin de nous dire.

 

Un détail sautait aux yeux : ses clignements de paupières :

 
Comme la vérité demande moins de ressources cognitives que le mensonge, lorsqu'une personne ment, elle a tendance à moins cligner des paupières que si elle dit la vérité. (1) Par voie de compensation, une fois le mensonge réalisé elle se libère en clignant davantage. (2)
 
Dans cette entrevue, il y a eu deux temps : sa vie privée et la situation européenne. Concentrons-nous ici sur le thème de la vie privée (3).  0.27 clignements à la seconde pendant l'échange contre 2.6 clignements à la seconde après avoir parlé. Dix fois plus ! Du jamais vu lorsque la personne dit la vérité (4).
 
Il faut noter également que lorsque la personne a fini de parler, généralement elle laisse la bouche entrouverte  ou légèrement fermée et elle clôt fortement la bouche lorsqu'elle ment. Ici la bouche est fortement fermée après les fins de phrase (voir la photo ci dessus). Une telle tension de fermeture dans la bouche à de si nombreuses reprises, encore du jamais vu en situation de vérité.
Dominique Strauss Kahn  reprend le thème du complot  : "…un complot nous verrons", il cligne 9 fois des paupières en 2.2 secondes, ce qui fait plus de 4 clignements de paupières à la seconde (!) la bouche bien scellée…
 
Alors, oui, il est possible que DSK dise la vérité, oui tout est possible et le mensonge ne serait être reconnu que s'il y avait des aveux ou des preuves matérielles claires, mais l'homme a, convenons-en , des manières bien à lui de dire la vérité…
 
 
(1) Kyosuke Fukuda : Eye blinks: new indices for the detection of deception International Journal of Psychophysiology 40, 239-245
 (2) Leal Sharon et Vrij Aldert Blinking "During and After Lying" J Nonverbal Behav (2008) 32:187–194 
(3) Le dialogue autour de deux thèmes bien différents nous a permis de contrôler nos variables. Nous nous apercevons qu'il y a eu 0.27 clignements par seconde sur l'épisode relevant de sa vie privée, pour 0.34 pour les thèmes européens soit près de 30 % de plus.Le thème européen étant un thème plus technique et compliqué, nous aurions pu nous attendre à voir le contraire
(4)  Pendant la prise de parole : 191 clignements / 686secondes   =     0.27 sec    Après la parole : 39 clignements de paupières / 15 secondes =   2.6 sec
 Il faut noter que la caméra revenant sur la journaliste à la fin de chaque intervention de DSK pour qu'elle lui pose des nouvelles questions, des clignements après la fin de la prise de parole ont forcément été omis.

Nafissatou Diallo fait la une.

On ne savait pas à quoi s'attendre, maintenant nous savons un peu mieux… un peu…
A lire certains médias, l'observation de la communication de Nafissatou Diallo nous amènerait à penser que nous sommes en face d'une actrice effectuant un numéro et si c'est une actrice et si c'est un numéro, c'est donc que c'est une menteuse.
L'observation attentive de son langage corporel débarrassée des clichés du type "elle pleure sur commande", "le balancier des fessiers permet de mesurer le niveau de sensualité d'une femme"… "primitive"…(1) , il faut quand même poser quelques jalons.

Cette entrevue télévisée, la seule que Nafissatou Diallo donnera sur le fond avant le procès à un média télévisuel, a été préparée. Préparée ca veut dire que Nafissatou Diallo, victime ou menteuse, s'est entendue dire par ses conseillers : Il va falloir convaincre l'Amériqueil va falloir décrire, qu'on puisse comprendre... laver votre honneur

Elle a ensuite été mise en confiance par la journaliste qui l'a elle même préparée à cette logique de "performance", cette dernière peaufinant son scoop. Et le langage corporel de Nafissatou Diallo est devenu un langage que les synergologues qualifient de "spectaculaire", (plutôt que spéculatif ou spéculaire).
Sur cette base, aux dires de sa gestuelle seule, il devient très difficile de savoir si elle ment ou si elle dit la vérité et en tous les cas de trancher de manière définitive.

Pour un spécialiste du langage corporel, savoir si quelqu'un ment ou dit la vérité lorsqu'il y a un véritable enjeu n'est pas très difficile, mais à une condition, celle d'avoir toutes les données du problème.
Prenons deux exemples, l'instant privilégié pour connaitre la vérité est le moment précis ou la question est posée, car certains micromouvements (qui durent moins d'une seconde) sont observables sur la personne interrogée, avant même qu'elle puisse composer une attitude. Or ici , systématiquement (comme dans presque toutes les émissions mesdames et messieurs les réalisateurs), lorsque la journaliste pose la question, la caméra est centrée sur… la journaliste.

Un autre bon indice consiste à voir comment se comportent les mains lorsque la personne communique entre les questions, ici le bandeau ABC cachait systématiquement les mains.

Pour savoir si quelqu'un ment ou dit la vérité sur les bases d'indices du langage corporel, il faut que la personne qui est interrogée, le soit par une personne spécialiste du langage corporel car elle saura rebondir et questionner immédiatement à partir des non congruences corporelles ou si ce n'est pas le cas, que le synergologue dispose de la totalité de l'entrevue filmée.

Dans cette affaire d'agression sexuelle présumée, les synergologues auront l'occasion de se prononcer encore, et même de trancher de manière très nette si des évidences corporelles se font jour, mais si pour le moment nous faisions, tous, appel à davantage de tempérance, pensez-vous que ce serait vraiment préjudiciable à la connaissance de la réalité des faits… ?

(*) Voyez à partir de la vidéo dont une image a été extraite, ce que la tristesse provoque systématiquement en termes de dissymétries du visage, le visage gauche plus fermé (pour faire écho à d'autres messages de ce blogue) . Il est certain qu'une bonne actrice peut fabriquer ce type d'item, une bonne actrice …