Archives pour la catégorie Ethologie animale

"Une bonne première impression" : entre mythe et réalité.

Dans les conseils qui sont prodigués à toutes les personnes qui doivent passer des entretiens, revient toujours la sempiternelle rengaine : "il est important de faire une bonne première impression "
Des intervenants avides de donner des conseils "d'expert" se chargent d'expliquer à la personne qu'ils ont la charge de préparer à "faire une bonne impression", toute l'importance de la communication non verbale.  Et dans l'ordre des conseils, reviennent les rituels, se tenir bien droit, (à l'interlocuteur de comprendre ensuite toute la subtile différence entre se "tenir droit" et se se "tenir bien droit") sans être rigide évidemment. Il s'agira ensuite  d'avoir un regard franc, c'est-à-dire regarder bien droit dans les yeux. Certains "experts" se hasardent même dans la foulée à  expliquer qu'une bonne poignée de mains doit être ferme et vigoureuse.
Mais, au passage, comme tout le monde a bien appris par cœur à se tenir bien droit, à bien regarder dans les yeux et à bien avoir une poignée de mains bien ferme,  ces indices du désir de communiquer finissent par ne plus rien signifier du tout. 

 

Moins de deux secondes 

En revanche, pour ce qui est de la bonne impression, ce qu'oublient de dire les experts en question, c'est qu'une "bonne première impression" se fabrique en moins de deux secondes !

Les premières expériences dans ce domaine datent de 1992 et elles n'ont pas été démenties depuis.
Dans une expérience chargée d'abord d'évaluer l'importance  du langage non verbal, on demanda à des étudiants, à partir de vidéos, d'évaluer, durant 30 secondes,  leurs assistants d'enseignement en début d'année scolaire. On leur demanda ensuite en fin d'année scolaire leur avis sur ces mêmes enseignants. Des taux de corrélation de près de 0.8 c'est à dire de près de 80% furent relevés.
La même expérience fut réalisée alors avec un autre groupe, mais cette fois-ci, le clip vidéo visionné dura deux secondes (!) et les corrélations importantes furent relevées une fois encore. (1)

 

Alors si au lieu de se "programmer"

Alors si au lieu de se "programmer" pour le regard franc, le sourire sincère , la  poignée de mains juste , la véritable détente intérieure, autant d'atouts nécessaires à livrer à une vraie performance, nous oubliions un peu tous ces conseils pour être simplement présents à ce qui se passe, parce que simplement nous considèrerions que les choses ont un sens, pensez-vous que nous serions nécessairement moins performants….?
 
Ne me dites pas que c'est que ce que les recruteurs, négociateurs et autres médiateurs et gladiateurs attendent, parce que ce qui est certain c'est que des regards francs, des sourires sincères , des  poignées de mains justes , des véritables détentes intérieures, ils en éconduisent suffisamment pour être prêts à être surpris  par quelque chose de moins acté et plus sincère.
D'autant que de toute façon, passées les deux premières secondes, il est déjà trop tard pour faire une bonne première impression.

 
(1) Ambady, N. et Rosenthal, R. (1993) Half a minute : Predicting teacher evaluations from thin slices of nonverbal behavior and physical attractiveness. Journal of Personality and Social Psychology, 64, 431-441.
Ambady, N., Rosenthal, R. (1992). Thin slices of expressive behavior as predictors of interpersonal consequences: A meta-analysis. Psychological Bulletin, 111, 256–274.
 
 
 
 
 
 

Des guêpes et des hommes.

Les guêpes dites Polistes fuscatus reconnaissent les visages de guêpe lorsqu'on leur présente des photos (!)
Si on les place dans un couloir électrifié et un couloir non électrifié et qu'on leur présente deux visages de guêpe, elles iront ensuite vers celui qu'elles ont croisé dans le couloir non électrifié. (1)

Se reconnaitre d'antenne à antenne ou d’œil à œil

Chez la guêpe, il semblerait que les antennes jouent un rôle déterminant pour reconnaitre l'autre guêpe. Sur les photos lorsque les antennes sont retouchées, les guêpes ont davantage de difficulté à reconnaitre le visage de guêpe qui leur est présenté sous format papier. Chez l'Être humain, ce sont les yeux qui jouent ce rôle et notamment l’œil droit (2). Les êtres humains normaux reconnaissent le visage de l'autre en 200ms en se concentrant sur les yeux.
Les personnes prosopagnosiques qui, elles, ont de la difficulté à reconnaitre les gens, se concentrent sur la bouche.(3)  Tous ces mécanismes sont non conscients.
Reconnaissance faciale et émotions

L'exemple de la guêpe montre que la pression de la sélection est suffisamment forte pour que des animaux qui sont placés bien en deça de l'être humain, dans la chaine de l'évolution, aient mis en place des mécanismes de reconnaissance faciale efficaces dans des cerveaux à priori beaucoup plus archaïques. 

Mais il y a autre chose encore. Si la guêpe fait la différence entre une de ses consœurs remarquée dans un environnement agréable et l'autre aperçue dans un environnement désagréable, à partir d'une photographie (sans odeurs ni sons donc), c'est qu'elle possède des compétences pour décoder les messages des visages.
Lorsque de telles compétences non verbales sont évoquées chez l'être humain c'est pour expliquer l'échange d'émotions, utile à la survie.

Il ne s'agit pas de dire que les guêpes reconnaissent des émotions et encore moins qu'elles socialiseraient grâce aux émotions échangées de visage à visage, mais elles reconnaissent des visages de guêpe, les discriminent en faisant la différence entre un visage repéré dans un environnement hostile et l'autre non, gardent cette information en mémoire, et sont capables de la réutiliser…

Avouons que tout à coup, nous tirerions bien une chaise à la guêpe dont nous pensions jusque là, qu'elle tournait stupidement autour du pot de confiture, pour qu'elle nous dise ce qu'elle pense de tout ça.

 
(1) Sheehan,M.J, Tibbetts E.E (2011) Specialized Face Learning Is Associated with Individual Recognition in Paper Wasps, Science 2 December : Vol. 334 no. 6060 pp. 1272-1275.
(2) C. Schiltz et al Impaired face discrimination in acquired prosopagnosia is associated with abnormal response to individual faces in the right middle fusiform gyrus, in Cerebral Cortex, vol. 16, pp. 574-86, 2006.
(3) R. CALDARA et al., Does prosopagnosia take the eyes out from faces ? Evidence for a defect in the use of diagnostic facial information in a brain damaged patient, in Journal of Cognitive Neuroscience, vol. 17, pp.1652-1666, 2005.

The artist et l’universalité du geste.

La cérémonie des Oscars 2012 vient de se clore à Los Angeles et la palme d'or du meilleur film a été remise à un film muet.
Quiconque a vu ce film a eu le sentiment que l'histoire était facilement compréhensible sans langage verbal. Quiconque a vu ce film a également eu le sentiment qu'il était universellement compréhensible. 

 

Dans ce film français aucun geste "culturel" n'était repérable comme tel, et chaque personne dans son coin de planète, son coin de pays a eu le sentiment, s'il a vu ce film, de comprendre la totalité de l'intrigue.

 Du geste conscient de l'acteur au geste non conscient de la vie
 
Les attitudes corporelles "actées" sont des attitudes conscientes pensées par un auteur, mises en scène, puis jouées par des acteurs. Ce ne sont pas de ces gestes là que s'occupe la synergologie, pas des gestes conscients mais des émotions non conscientes que va traduire le corps au moment ou l'être humain est en action.  Mais si les gestes permettant la compréhension du film peuvent être décryptés sur une base universelle, pensez-vous vraiment que les messages neurophysiologiques que le corps et le cerveau vont s'envoyer et que l'être humain va traduire de manière non consciente par son langage corporel, seront moins universels ?
Les invariants du langage du corps sont universels. De multiples décodages vidéos réalisés à partir de visionnements de peuples divers nous en convainquent chaque jour. Mais pourquoi cette idée simple est-elle si difficile à faire passer dans l'opinion ?
Pourquoi l'idée qu'au delà des races humaines, une espèce humaine unifiée communiquant universellement ses émotions à partir de structures cérébrales communes façonnées depuis des centaines de millions d'années, est-elle si difficile à accepter…?

Nous y reviendrons.

 
 
 
 
 

Québécois et français : entre joue gauche et joue droite.


Avez-vous déjà observé deux français se faisant la bise et deux québécois se faisant la bise ? Vous observerez qu'ils ne commencent pas par la même joue ! Alors que les français commencent par embrasser la joue droite (dans plus de 80 % des cas (source Paris)), les québécois s'embrassent en commençant par la joue gauche dans les mêmes proportions (Source Montréal). Vous noterez également que les italiens commencent par la joue gauche et les suisses par la joue droite. Il n'y a pas de raison culturelle ou religieuse à ça et il n'est pas non plus question ici de latéralité. Les systèmes d'éducation ne prescrivent pas non plus le choix de la première joue. Alors…….
La meilleure explication, la plus plausible semble être hémisphérique.
Selon cette théorie, nos choix sont d'abord cérébraux. Les informations ne sont pas traitées par les mêmes zones du cerveau par deux individus différents face pourtant à la même information. Ce qui fait par exemple que démocrates et républicains américains en période d'élection ne font pas travailler les mêmes zones du cerveau face à la même publicité regardée (1) ..
Dans le cas de l'action de « se faire la bise », le rapport à la proximité corporelle, au toucher, à l'intimité proximale, pourrait être différent d'un pays à un autre, simplement parce que la bise n'aurait pas tout à fait la même signification, la même connotation selon les pays.
La partie gauche du visage est la plus émotionnelle, celle qui livre le plus d'informations sur nos émotions (2). En faisant la première bise du même côté que pour le baiser amoureux, les québécois comme les italiens montrent leur facilité à entrer en contact. Et lorsque les québécois disent des français qu'ils sont « pognés », derrière l'emploi d'un mot trivial, c'est peut-être simplement cette réalité qu'ils traduisent. Il disent en d'autres termes que les français sont plus protocolaires, plus réservés, plus génés…
 
 
(1)KAPLAN Jonas T. ; FREEDMAN Joshua ; IACOBONI Marco Political attitudes and party affiliation influence neural response to faces of presidential candidates, Neuropsychologia 2007, vol. 45, No. 1, pages 55-64
(2) Skinner, Mullen : " Facial assymetry in emotional expression : A meta_analysis in research", Britisih Journal of psychology, 30, 1991, pp 113-124.