Archives mensuelles : juin 2015

La synergologie et les faits

CaptureLa synergologie permet de mieux comprendre l'être humain  à partir de son langage corporel. Son cadre explicatif l'oblige à respecter deux paramètres. D'abord, décrire le plus précisément possible la réalité pour en faire émerger des phénomènes qui n'avaient pas été observés jusque là. Ensuite, offrir la possibilité à d'autres chercheurs de réfuter, critiquer les propositions émises sur des bases scientifiques constructives.
En synergologie, la théorie des microdémangeaisons se prête bien à ce type de démonstration.  Le schéma  accompagné de points, permet de visualiser la topographie des zones sur lesquelles les personnes se passent la main lorsqu'elles se grattent le visage.

Une microdémangeaison spécifique effectuée sur le bout du nez (zone N10) permet de penser que la personne qui l'effectue est curieuse. Curieuse de voir, curieuse de savoir, curieuse de comprendre, bref curieuse.

Émettre l'hypothèse que la personne est curieuse lorsqu'elle applique sa main sur le haut de son nez pour le caresser ou le gratter, est l'explication la plus logique en l'état des connaissances.

Dans la zone du nez, huit microdémangeaisons font ainsi l'objet d'horizons de sens différents; chaque zone touchée, grattée ou caressée inconsciemment exprime un non-dit.

La vidéo précédente peut être mise en perspective avec une autre attitude, celle où la personne se gratte à l'aide de la pince pouce-index sous le nez en l'obturant. Ce mouvement traduirait un malaise  :  "Il y a un problème".  Et bien évidemment ce geste est inconscient.

La proposition consistant à comprendre qu' "il y a un problème" lorsque la personne effectue ce type de microdémangaison, constitue aujourd'hui l'explication la plus plausible. Elle est née de l'observation de situations récurrentes. 1260 items classifiés forment aujourd'hui le corpus de la synergologie et regroupent tous les aspects du langage corporel.

Des milliers de vidéogrammes représentant des situations observées in vivo sont ainsi stockés dans des bases numériques pour être comparés, enrichis tous les jours par des sources nouvelles. De ces comparaisons est né au fil du temps un corpus de  propositions stables.

Un des objectifs de la synergologie est de comprendre et de montrer à quel point le corpus gestuel est universel. Ce qui ne veut évidemment pas dire que chaque culture n'a pas son système symbolique conscient. Toutefois, à un niveau infra-conscient, il semble bien que les réactions corporelles humaines partagent toutes des codes communs.

Pendant longtemps, les biologistes ont pensé que les microdémangeaisons permettaient d'inhiber des zones de la douleur, et que c'est dans les occasions de malaise que nous nous grattions. Mais très récemment, Mishra et Hoon (2013) ont repéré que les circuits de la douleur et ceux de la démangeaison sont distincts, et qu'un polypeptide, le nppb serait à l'origine des démangeaisons. Ces découvertes issues du champ de la neurobiologie s'accordent bien avec les observations synergologiques, de nombreuses microdémangeaisons engendrées par des évènements à valence positive générant à leur tour une excitation positive. Ce qui est le cas d'ailleurs sur certaines situations présentées sur la première vidéo. 

Dans le champ du langage corporel, il n'existait avant la synergologie aucune autre base d'identification des lieux précis des microdémangeaisons, et aucune proposition d'horizon de sens réfutable. Des chercheurs avaient bien remarqué que les gens se grattaient sans raison apparente, Morris (1967), Cosnier (1977) Ekman et Friesen (1969) Kimura (1976) notamment, et ils sont loin d’être les seuls. Mais aucun d'eux ne s’était jamais intéressé précisément à mettre en lien l'état responsable de la microdémangeaison avec la topographie stricte de ces mouvements. Or, le corps humain ne fait jamais rien sans raison. C'est le principe de base de l'homéostasie (Claude Bernard, 1865). Les gestes sont donc toujours forcément signifiants.

Pourquoi ces phénomènes n’avaient-ils pas été observés auparavant, s’ils sont si clairs ?

Un postulat de la communication non verbale veut que le geste soit lié à la parole. Or ce postulat en a complètement occulté un autre : le geste lié à la pensée. Car il suffirait que le geste ne soit pas lié à la parole, qu'il soit lié à la pensée pour que le langage corporel soit observé sous un prisme différent. Dans les deux exemples vidéo précédents, c'est la nature différente des pensées (et non des paroles) qui est à l'origine de deux types de microdémangeaisons différentes. C'est l'option la plus logique en l'état des connaissances.

La  théorie des microdémangeaisons  permet d'amorcer ainsi une réflexion sur des aspects du langage corporel qui n'avaient jamais été abordés sous cet angle là,  alors qu'ils sont fondamentaux pour comprendre l'être humain et créer des interactions plus riches.

 

Ce message est tiré d'une communication présentée l'Université de Nancy-Lorrraine aux 2èmes Journées d’études du réseau Duplication, Implication, Réplication, réseau international et multidisciplinaire de chercheurs en communication et en sciences sociales, le 9 juin 2015 qui proposait une réflexion sur les formes de duplication et d’engagement dans l’environnement numérique.

 

Bibliographie

Bernard, C (1865) Introduction à l'étude de la médecine expérimentale.

Dahan, G., & Cosnier, J. (1977). Sémiologie des quasi-linguistiques français. Psychologie médicale, 9(11), 2053-2072.

Ekman, P., & Friesen, W. V. (1981). The repertoire of nonverbal behavior: Categories, origins, usage, and coding. Nonverbal communication, interaction, and gesture, 57-106.Kimura, D. (1976) « The neural basis of gesture », dans Whitaker , H. et Harry A. Studies in neurolinguistics, vol. 2, Academic Press, 1976, p. 145- 156.

Kimura D., (1976): “ The neural basis of gesture ”, In H. Whitaker et H.A Whitaker : Studies in neurolinguistics, 1976 , Vol 2 (pp. 145-156).

Meguerditchian, A. (2009) Latéralité et communication gestuelle chez le babou et le chimpanzé : à la recherche des précurseurs du langage, Thèse 2009.

Mishra, S. K., & Hoon, M. A. (2013). The cells and circuitry for itch responses in mice. Science, 340(6135), 968-971.

Morris, D. (1967). Le singe nu (1967). Paris, Grasset.