Archives mensuelles : septembre 2012

Pour arrêter de penser qu’on puisse décoder le mensonge à partir des émotions

En ce moment fleurissent sur l'internet des formations proposant de décoder le mensonge à partir des émotions. Soyons clairs, personne n'a jamais décodé le mensonge à partir des émotions et ceux qui prétendent le faire ont toujours refusé d'être testés dans un cadre scientifique universitaire (1) Certains organismes ou personnes espérant bonifier leur offre de décodage du mensonge en y ajoutant la grille classificatoire de la synergologie.  Mais là encore prenez les aux mots et faites leur décoder des mensonges, ils n'y parviendront pas à un niveau supérieur à celui du hasard. La grille classificatoire de la synergologie, ne sert pas à ça et l'utiliser en tant que telle n'a aucun intérêt.

Mentir ne fait pas naître d'émotions particulières. Et des émotions particulières peuvent naître sans que la personne ne mente. Aussi curieux que cela puisse paraitre si vous regardez une personne et la considérez comme une personne menteuse, vous allez faire apparaitre chez elle des items corporels observables d'ordinaire dans le mensonge, même si elle dit la vérité. C'est l'effet Pygmalion, bien connu de tous les professionnels de la relation. En fait la personne vous percevant comme suspicieux a le sentiment d'être suspectée et son langage corporel porte les traces de cette réalité.

Une autre difficulté se pose. Une fois qu'a été décodé ce qui pourrait ressembler à un mensonge, comment être bien assuré qu'il s'agit du mensonge que vous cherchez à repérer ?  comment être persuadé que la personne n'est pas en train de penser à autre chose qu'à ce que vous cherchez vous ?  Vous avez repéré des items de peur sur son visage, vous pensez qu'elle a peur d'être démasquée alors qu'en réalité elle a peur soudainement, parce qu'elle penser au cancer qu'on vient de lui dépister. Son visage traduit bien la peur pendant une seconde ou deux mais pas la peur d'être démasquée comme menteuse. Seule la compréhension de ce  qu'on appelle "la qualité de présence" permet de comprendre dans quel état elle est lorsqu'elle est en face de nous. Cette qualité de présence peut prendre six formes différentes et la grille classificatoire de la synergologie seule ne permet pas de comprendre. D'autres outils synergologiques sont nécessaires.

La synergologie ce n'est pas un répertoire d'items, ce n'est pas un bon petit soldat prêt au garde-à-vous à expliquer toutes les situations. La  synergologie  se construit à la jonction de trois réalités : un répertoire d'items, une théorie de la relation et une réflexion sur les états de présence. N'oublier qu'une de ces trois dimensions nous conduit à nous tromper sur le sens général de l'observation.

 
 
(1) Pour une critique ce type d'attitude : Bond, Ch (2007) F On Lie Detection “Wizards”  Law and Human Behavior, Vol. 31, No. 1, February 2007.
 
 

L’aile gauche du nez de Lucien Bouchard


Le contexte
 

À l'occasion de la sortie de son livre "Lettres à un jeune politicien", Lucien Bouchard, ancien premier ministre du Québec, explique ici au plus jeune député de l'Assemblée Nationale jamais élu, Léo Bureau-Blouin (20 ans) qu'il faut "tenir compte de ce qui se passe dans la population...". Au moment précis où il emploie ces mots, il se gratte l'aile gauche du nez.

 

Pourquoi se gratte-t-il l'aile gauche du nez ?

 

L'ex premier ministre a répété toute la journée, lors de chaque entrevue réalisée: "un gouvernement ne doit jamais céder devant la rue", évoquant les manifestations de ce qu'il est convenu d'appeler aujourd'hui le "printemps érable" au Québec.

Il conseille pourtant au nouvel élu qui a aussi été un des trois leaders étudiants de ce printemps érable: "Il faut tenir compte de ce qui se passe dans la population" Or,  ce conseil est en contradiction avec l'essentiel de ses déclarations de la journée. Avouons qu'il est difficile de dire du même souffle qu'il " faut tenir compte de ce qui se passe dans la population" et  "qu'il ne faut pas céder à la rue" (1). Car c'est bien la population qui est dans la rue…

 

Ce geste de  Lucien Bouchard, se gratter l'aile gauche du nez qui le pique, exactement au moment ou il emploie l'espression tenir compte de la population exprime la contradiction inconsciente de son discours. Cette microdémangeaison est typique et facilement  identifiable. (3mns 21 après le début de l'entrevue). Il se gratte en parlant, le cerveau a sans doute détecté cette contradiction du discours. (2)
 

Le fait de se gratter lui permet de détourner le regard, de se cacher subrepticement avec la main pour revenir dans son monde, évitant ainsi d'avoir l'air incohérent, face à son interlocuteur. Répétons que tout cela ne se fait pas consciemment. C'est plutôt procédural, c'est-à-dire automatique.

 

 

Cette microdémangeaison n'est pas liée au "mensonge". (3) L'ancien premier ministre  ne ment pas, il n'est simplement pas en phase avec ce qu'il a dit abondamment ici et là. En plus, il parle sur le ton du conseiller s'adressant au néophyte. Ce qui tombe assez mal…

 

 
 
 
 
 

(1) Propos tenus par exemple dans le journal de 22h00 de Radio Canada, face à Céline Galipeua le 12 septembre 2102.
(2) Evidemment les hagiographes de Lucien Bouchard nous expliqueront qu'il n'y a pas là de contradiction mais d'un point de vue strictement sémantique  il y a contradiction et d'ailleurs il se gratte précisément ici. Le cerveau a repéré la contradiction dont il n'a sans doute pas explicitement conscience, mais il se gratte…

(3) Si ca avait été un mensonge, c'est le dessous du nez qui aurait été piqué. Dans les bases de données (A_0_D_n_20_P2_56), ici c'est l'aile extérieure (A_0_D_N_3_P2_56)

 

Ingrédients infaillibles pour rater une pub ?

Le public, de manière générale a tendance à penser que les gens de publicité sont très au fait de tout ce qui concerne le langage corporel et qu'ils intègrent ces réalités dans leurs publicités. Or c'est là en partie une croyance.

Par une série d'observations tirées de publicités diverses, nous allons vous montrer quelles erreurs commises par méconnaissance de la dynamique du langage corporel ont tendance à produire sur le public l'effet contraire à l'effet recherché. Observons cette publicité. associant un grand acteur à une publicité pour le café dans une ambiance mystérieuse.

 

Le cerveau fait des associations libres, ce qui permet à l'être humain d'avoir des réactions plus rapides et mieux adaptées face à son environnement. Le marketing puise nombre de ces astuces dans ce type de construction théorisée par Freud. Une association libre bien connue associe café et sexualité.  Ici le breuvage est placé entre les mains de l'acteur au sex appeal (« appel du sexe » en anglais littéral) ) reconnu et devrait donner pour le moins le goût de la torréfaction à son public.

Mais il se trouve que si vous regardez son visage, dans les yeux de l'acteur, c'est d'abord le blanc de l'oeil sous l'oeil qui est surtout visible. Or ce muscle abaissé sous l’œil se rétracte pour découvrir la sclère,  lorsque les personnes sont anxieuses

 

Lorsque les personnes sont excitées, notamment sexuellement, le petit muscle appelé orbicularis oculi, a tendance au contraire à se bomber et remonter sur l’œil pour cacher la sclère c'est-à-dire le blanc de l’œil. 

Par comparaison, une personne excitée postivement, même si sa tête descend ne montre pas le blanc de l'oeil sous l’œil lorsque elle baisse la tête. La seconde photo permet d'observer la différence. 


 Des réalités qui ne sont pas conscientes mais qui sont pourtant bien réelles :

Ce phénomène n'est pas subjectif. Le simple fait de regarder des images d'yeux dans lesquels la sclère est bien visible sous l’œil suffit à déclencher le fonctionnement de l'amygddale cérébrale (une zone du cerveau située dans le système limbique) normalement activée dans les situations de peur ! (1)
Le décodage que le cerveau fait de la sclère n'est pas conscient. Personne ne va intentionnellement  observer la présence ou non de la sclère (le blanc de l'oeil) chez son interlocuteur ou interlocutrice, en revanche l'activité cérébrale de ces personnes montre que les zones normalement activées en situation de peur s'activent lorsque les interlocuteurs découvrent le blanc de leurs yeux. (3)

C'est exactement ce qui se produit ici. Le visage de l'acteur  à la tasse de café,  bien aimé du public ne fait pas peur c'est certain, mais l'effet de mise en confiance et de désir ne peut pas jouer à plein son rôle, car cette image fait naitre, non consciemment, davantage de vigilance que le désir dans le cerveau des gens qui regardent…

Ici le langage corporel crée un effet que les publicistes n'ont pas contrôlé, faute de le connaître, et l'acteur de son côté n'est pas en situation de désir parce que si ça avait été le cas, sa sclère n'aurait  pas été si visible…

Paradoxe : On peut fabriquer l'authenticité mais on est bien plus authentique lorsqu'on ne fabrique pas 

Cette publicité nous entraine au coeur d'un paradoxe : On peut toujours essayer de fabriquer l'authenticité, mais que de paramètres à contrôler. Dans la vie de tous les jours une démarche de communication juste devrait être toute autre.  Les trucages du langage corporel sont trop nombreux et trop compliqués, parfois même impossibles à mettre en œuvre. On ne peut pas apprendre à remonter l'orbicularis oculi sous l’œil pour avoir l'air de désirer l'autre ! 
Une démarche de communication juste devrait être même strictement inverse, fondée sur le rejet des trucages.(4) D'ailleurs le simple fait de développer le désir de regarder l'autre, pour mieux le comprendre, fait naitre des mécanismes d'empathie qui amènent la relation à être juste sans avoir besoin d'être bricolée…

 

(1) Morris, J.S., De Bonis, M.  Dolan, R.J., (2002) « Human amygdalia responses to fearfull eyes », Neuroimage, 17, (1), pp. 214-222.
(2) Zajonc R, feeling and thinking, preferences need to inferences, American Psychologist, 35, 1980,
(3) Whalen, P.j Rausch, S.L,  Etchof, N.L, mc Inerney, S,Clee, M.B, Jenike, M.A (1998) . masked présentations of emotional facial expressions modulate amygdalia activity without explicite knowledge, Journal of neuroscience, 18, p.411-418. 
(4) Turchet, P. Les codes inconscients de la séduction,  Ed de l'homme, 2004, 167 pages.