Archives mensuelles : mars 2012

Alexithymie et communication non verbale.

Bien que le terme alexithymie, apparu d'abord dans la littérature anglo saxonne en 1973 (1) et soit relativement peu connu dans le grand public, le trouble auquel il correspond est un trouble aisé à identifier parce qu'il touche entre 10 et 15 % de la population : (2) 
La personne alexithymique souffre d'un trouble la conduisant à avoir de la difficulté à comprendre les émotions.
Cette personne ressent bien les sensations corporelles qui sont à l'origine de l'émotion, mais ces sensations corporelles ne prennent pas de coloration émotionnelle :

– " Comment te sens-tu ?
– Je ne sais pas, j'ai une boule dans la gorge…
– C'est agréable, désagréable ?
– Je peux pas dire, c'est une boule dans la gorge…"

C'est comme si les émotions chez les alexithymiques n'accédaient pas à la conscience. (3) Les spécialistes parlent d'ailleurs parfois de cécité émotionnelle.  

Une échelle de mesure de l'alexithymie

Des spécialistes canadiens Taylor, Ryan, et Bagby (4) ont développé une échelle permettant de mesurer l'alexithymie.
Trois facteurs permettraient de l'identifier :

  • La difficulté à faire la distinction entre les sentiments et les sensations corporelles de l'excitation émotionnelle;
  • La difficulté à décrire les sentiments d'autrui;
  • Une pensée opératoire excluant les détails rappelant l'émotion.

Il n'est pas impossible de penser, comme l'ont montré plusieurs recherches, que le déficit de verbalisation du milieu parental, n'aide pas les enfants à identifier et reconnaitre ensuite des émotions, dont on ne leur a pas parlé, et qu'on ne leur a pas appris à reconnaitre. Mais ce mode d'explication ne suffit pas à lui seul à exprimer la réalité de l'alexithymie. Il est également possible que ce soit un mécanisme de défense permettant de se mettre à l'abri de la souffrance. Des mécanismes neurologiques permettraient d'expliquer l'alxithymie sans que l'on sache exactement si ces mécanismes seraient une cause ou une conséquence du parcours émotionnel des alexithymiques
Évidemment les alexityhmiques sont peu empathiques, car ne reconnaissant pas leurs propres émotions, ils éprouveront de la difficulté à attribuer des émotions aux autres. (5)

Nos gestes ne nous trahissent pas

 A l'heure ou le discours ambiant a tendance à dire que nos gestes nous trahissent, nos émotions nous trahissent, et qu'il faudrait se tenir loin de ce qui concerne la meilleure connaissance de tous leurs processus d'observation, il existe une autre école, plus humaniste. Cette école consiste à penser que lorsqu'on à appris à reconnaitre les émotions parce qu'on a appris à les observer sur l'autre, on se rapproche de lui parce qu'on le comprend mieux. On se rapproche également de soi parce qu'on apprend à identifier, à partir de l'autre, des  états que l'on peut développer, reconnaitre, apprivoiser, chez soi. 

Nos émotions ne nous trahissent pas, nos gestes ne nous trahissent pas, donner à lire à l'autre notre bagage corporel, c'est aussi lui proposer des lunettes pour mieux nous comprendre. 
Apprendre à observer c'est apprendre à comprendre,  apprendre à développer des ressources collaboratives, des ressources humaines, sans jeu de mots.

(1) Sifneos,PE (1973). The prevalenceof 'alexithymic' characteristics in psychosomatic patients. Psychotherapy and Psychosomatics,22,255-262
(2) S. Berthoz et al., (2011) Alexithymia from the social neuroscience perspective, in The Handbook of Social Neuroscience, sous la direction de J. Decety et J. Cacioppo, Oxford University Press.
(3) L. Pouga et al., (2010) Individual differences in socio-affective skills influence the neural
bases of fear processing : the case of alexithymia, in Human Brain Mapping, vol. 31(10), pp. 1469- 1481,
(4) Taylor,GJ. Ryan,DP, et Bagby, R.M. (1985) Toward the developmentof a new self-report alexithymia scale. Psychotherapy andPsychosomatics,44,191-199
(5) Cosnier, J. (2006), Psychologie des émotions et des sentiments “ Réed Retz : Paris.

"Une bonne première impression" : entre mythe et réalité.

Dans les conseils qui sont prodigués à toutes les personnes qui doivent passer des entretiens, revient toujours la sempiternelle rengaine : "il est important de faire une bonne première impression "
Des intervenants avides de donner des conseils "d'expert" se chargent d'expliquer à la personne qu'ils ont la charge de préparer à "faire une bonne impression", toute l'importance de la communication non verbale.  Et dans l'ordre des conseils, reviennent les rituels, se tenir bien droit, (à l'interlocuteur de comprendre ensuite toute la subtile différence entre se "tenir droit" et se se "tenir bien droit") sans être rigide évidemment. Il s'agira ensuite  d'avoir un regard franc, c'est-à-dire regarder bien droit dans les yeux. Certains "experts" se hasardent même dans la foulée à  expliquer qu'une bonne poignée de mains doit être ferme et vigoureuse.
Mais, au passage, comme tout le monde a bien appris par cœur à se tenir bien droit, à bien regarder dans les yeux et à bien avoir une poignée de mains bien ferme,  ces indices du désir de communiquer finissent par ne plus rien signifier du tout. 

 

Moins de deux secondes 

En revanche, pour ce qui est de la bonne impression, ce qu'oublient de dire les experts en question, c'est qu'une "bonne première impression" se fabrique en moins de deux secondes !

Les premières expériences dans ce domaine datent de 1992 et elles n'ont pas été démenties depuis.
Dans une expérience chargée d'abord d'évaluer l'importance  du langage non verbal, on demanda à des étudiants, à partir de vidéos, d'évaluer, durant 30 secondes,  leurs assistants d'enseignement en début d'année scolaire. On leur demanda ensuite en fin d'année scolaire leur avis sur ces mêmes enseignants. Des taux de corrélation de près de 0.8 c'est à dire de près de 80% furent relevés.
La même expérience fut réalisée alors avec un autre groupe, mais cette fois-ci, le clip vidéo visionné dura deux secondes (!) et les corrélations importantes furent relevées une fois encore. (1)

 

Alors si au lieu de se "programmer"

Alors si au lieu de se "programmer" pour le regard franc, le sourire sincère , la  poignée de mains juste , la véritable détente intérieure, autant d'atouts nécessaires à livrer à une vraie performance, nous oubliions un peu tous ces conseils pour être simplement présents à ce qui se passe, parce que simplement nous considèrerions que les choses ont un sens, pensez-vous que nous serions nécessairement moins performants….?
 
Ne me dites pas que c'est que ce que les recruteurs, négociateurs et autres médiateurs et gladiateurs attendent, parce que ce qui est certain c'est que des regards francs, des sourires sincères , des  poignées de mains justes , des véritables détentes intérieures, ils en éconduisent suffisamment pour être prêts à être surpris  par quelque chose de moins acté et plus sincère.
D'autant que de toute façon, passées les deux premières secondes, il est déjà trop tard pour faire une bonne première impression.

 
(1) Ambady, N. et Rosenthal, R. (1993) Half a minute : Predicting teacher evaluations from thin slices of nonverbal behavior and physical attractiveness. Journal of Personality and Social Psychology, 64, 431-441.
Ambady, N., Rosenthal, R. (1992). Thin slices of expressive behavior as predictors of interpersonal consequences: A meta-analysis. Psychological Bulletin, 111, 256–274.
 
 
 
 
 
 

Des guêpes et des hommes.

Les guêpes dites Polistes fuscatus reconnaissent les visages de guêpe lorsqu'on leur présente des photos (!)
Si on les place dans un couloir électrifié et un couloir non électrifié et qu'on leur présente deux visages de guêpe, elles iront ensuite vers celui qu'elles ont croisé dans le couloir non électrifié. (1)

Se reconnaitre d'antenne à antenne ou d’œil à œil

Chez la guêpe, il semblerait que les antennes jouent un rôle déterminant pour reconnaitre l'autre guêpe. Sur les photos lorsque les antennes sont retouchées, les guêpes ont davantage de difficulté à reconnaitre le visage de guêpe qui leur est présenté sous format papier. Chez l'Être humain, ce sont les yeux qui jouent ce rôle et notamment l’œil droit (2). Les êtres humains normaux reconnaissent le visage de l'autre en 200ms en se concentrant sur les yeux.
Les personnes prosopagnosiques qui, elles, ont de la difficulté à reconnaitre les gens, se concentrent sur la bouche.(3)  Tous ces mécanismes sont non conscients.
Reconnaissance faciale et émotions

L'exemple de la guêpe montre que la pression de la sélection est suffisamment forte pour que des animaux qui sont placés bien en deça de l'être humain, dans la chaine de l'évolution, aient mis en place des mécanismes de reconnaissance faciale efficaces dans des cerveaux à priori beaucoup plus archaïques. 

Mais il y a autre chose encore. Si la guêpe fait la différence entre une de ses consœurs remarquée dans un environnement agréable et l'autre aperçue dans un environnement désagréable, à partir d'une photographie (sans odeurs ni sons donc), c'est qu'elle possède des compétences pour décoder les messages des visages.
Lorsque de telles compétences non verbales sont évoquées chez l'être humain c'est pour expliquer l'échange d'émotions, utile à la survie.

Il ne s'agit pas de dire que les guêpes reconnaissent des émotions et encore moins qu'elles socialiseraient grâce aux émotions échangées de visage à visage, mais elles reconnaissent des visages de guêpe, les discriminent en faisant la différence entre un visage repéré dans un environnement hostile et l'autre non, gardent cette information en mémoire, et sont capables de la réutiliser…

Avouons que tout à coup, nous tirerions bien une chaise à la guêpe dont nous pensions jusque là, qu'elle tournait stupidement autour du pot de confiture, pour qu'elle nous dise ce qu'elle pense de tout ça.

 
(1) Sheehan,M.J, Tibbetts E.E (2011) Specialized Face Learning Is Associated with Individual Recognition in Paper Wasps, Science 2 December : Vol. 334 no. 6060 pp. 1272-1275.
(2) C. Schiltz et al Impaired face discrimination in acquired prosopagnosia is associated with abnormal response to individual faces in the right middle fusiform gyrus, in Cerebral Cortex, vol. 16, pp. 574-86, 2006.
(3) R. CALDARA et al., Does prosopagnosia take the eyes out from faces ? Evidence for a defect in the use of diagnostic facial information in a brain damaged patient, in Journal of Cognitive Neuroscience, vol. 17, pp.1652-1666, 2005.